Tuesday, February 16, 2010

Qu’attend le dalaï-lama de la Chine ?

Le président américain Barack Obama a l’intention de recevoir le dalaï-lama à la Maison-Blanche. Les Chinois ne veulent pas en entendre parler. Ils considèrent le dalaï-lama comme un séparatiste. Est-ce le cas ? Le dalaï-lama dit quand même qu’il ne désire pas l’indépendance du Tibet, mais tout simplement davantage d’autonomie, non ? Les Chinois sont-ils donc obstinés à ce point ?

Les États-Unis et l’Europe insistent souvent auprès du gouvernement chinois pour qu’il négocie avec le dalaï-lama à propos du retour de ce dernier au Tibet et d’une « réelle autonomie » pour le peuple tibétain. Depuis les années 1970 déjà, des négociations sont en cours entre Beijing et des représentants du dalaï-lama. Les dernières discussions ont eu lieu en janvier de cette année. Une fois de plus, elles tournaient autour du Mémorandum que le dalaï-lama avait fait connaître en novembre 2008. Pour le dalaï-lama, ce programme constitue la base des négociations.

Résumons les exigences de ce Mémorandum :

1. Les frontières provinciales chinoises doivent être modifiées de sorte que puisse se constituer un Grand Tibet correspondant au royaume tibétain du 8e siècle.

2. Pour protéger la culture tibétaine, on doit instaurer dans la région du Tibet un arrêt de l’immigration des autres groupes de population chinois. Les non-Tibétains, qui y habitent depuis des générations, constituent une menace pour la culture autonome.

3. Le Grand Tibet doit avoir sa propre législation, sans ingérence du gouvernement central chinois.

4. Le caractère unique de la culture et de l’identité tibétaines ne peut prospérer que sous une administration tibétaine.

5. L’enseignement de l’État dans le Grand Tibet sera remplacé par un enseignement religieux bouddhiste.

6. La première langue dans le Grand Tibet doit être le tibétain.

7. La propriété de la terre appartient à la nationalité tibétaine, qui doit pouvoir en disposer librement (la louer, la vendre).

8. La Grand Tibet doit devenir autosuffisant le plus rapidement possible ; les subsides de l’État central chinois doivent cesser afin de pouvoir garantir une réelle autonomie.

9. Le Tibet est devenu une catastrophe écologique. Les pâturages et les bois disparaissent. Jadis, les Tibétains ont toujours vécu en harmonie avec la nature. Il faut qu’il en soit ainsi à nouveau.

10. Toutes les forces de l’ordre doivent être constituées de Tibétains ethniques. (Il n’est pas spécifié s’il s’agit de la police ET de l’armée mais, dans d’autres textes, il est stipulé que l’armée nationale chinoise doit disparaître du Grand Tibet.)

11. Le gouvernement régional du Tibet doit pouvoir participer en toute indépendance à toutes les organisations internationales, sans pour cela avoir un siège aux Nations unies.

La réponse chinoise

Les réponses du gouvernement chinois à ces 11 exigences sont :

1. Après la 8e siècle, la Grand Tibet n’a jamais été une entité politique. Les actuelles frontières provinciales n’ont plus bougé depuis le 18e siècle. Le territoire que réclame le dalaï-lama est deux fois plus grand que la province du Tibet et il représente un quart du territoire de la Chine. Dans le territoire revendiqué pour l’extension, divers peuples cohabitent pacifiquement. La culture tibétaine n’y est pas la seule.

2. La Chine est un État multiethnique, où il existe une protection des caractéristiques propres des minorités. Dans de nombreuses régions, il y a un mélange de minorités. Fermer les frontières internes et expulser les non-Tibétains, c’est de l’épuration ethnique.

3. Une législation spécifique existe déjà pour le Tibet, mais elle a été édictée en concertation avec le gouvernement central. L’unité du pays est une garantie pour l’autonomie tibétaine. Si l’unité du pays n’est pas garantie, il faut alors parler d’indépendance. Dans ce cas, le Tibet tomberait bien vite aux mains d’une grande puissance et il ne resterait plus rien de cette autonomie.

4. Septante pour cent des cadres politiques et des fonctionnaires au Tibet sont déjà des Tibétains, aujourd’hui. Le gouverneur et le président du Parlement régional sont des Tibétains. Trois des quatre postes les plus élevés du parti au Tibet sont aux mains des Tibétains.

5. Faire reposer l’enseignement sur le bouddhisme est en contradiction avec la constitution chinoise, qui prévoit un réseau d’enseignement unique et non religieux.

6. Dans l’intérêt de l’unité de la Chine, le Tibet a été décrété par loi zone bilingue : le tibétain et le chinois. Dans la proposition du dalaï-lama, le chinois n’est plus cité comme seconde langue possible. C’est une incitation à la lutte linguistique. Quid des millions de personnes vivant dans la région revendiquée pour l’extension du Grand Tibet et qui parlent une autre langue que le tibétain ?

7. Selon la Constitution chinoise, tous les terrains sont propriété de l’État central, ils ne sont en aucun cas des propriétés privées et ne constituent certainement pas une question ethnique.

8. Les subsides de l’État central au Tibet constituent 90 pour cent du budget régional et passent dans l’infrastructure, l’écologie, l’enseignement, le logement, les soins de santé et la lutte contre la pauvreté. L’économie tibétaine est encore en grande partie une économie de survie. Sans aide extérieure, le Tibet ne pourrait sortir de son état de sous-développement.

9. En raison de la croissance économique et sociale, de meilleures conditions de vie et d’une qualité plus élevée des soins de santé, le nombre de Tibétains au Tibet a presque triplé. Il en va de même pour le cheptel. Celui-ci exerce une pression sur les zones herbeuses vulnérables. En raison du changement climatique, le Tibet devient aussi plus chaud et plus sec. Des sommes énormes sont nécessaires pour lutter contre la désertification. Qui va les fournir ?

10. L’armée chinoise est en mesure de défendre la totalité du territoire. Le Tibet y compris. Le corps de la police, au Tibet, est déjà tibétain.

11. Les représentants tibétains peuvent avoir une place au sein des délégations chinoises, lors des rencontres internationales, dans l’intérêt de l’unité du pays.

La Chine demande aussi au dalaï-lama de ne pas accorder de soutien aux activités séparatistes ni d’approuver la violence au Tibet même ou contre les ambassades de la Chine à l’étranger. Jusqu’à ce jour, le dalaï-lama n’a pas acquiescé à cette demande.
Le dalaï-lama et son administration en Inde accusent le gouvernement chinois de ne pas vouloir abonder sérieusement dans le sens des exigences formulées. Le gouvernement chinois de son côté qualifie ces exigences de forme déguisée d’indépendance. Il ajoute que le dalaï-lama, à ce propos, reçoit le soutien d’une « grande puissance », sans toutefois citer nommément les États-Unis. Le gouvernement dit toutefois explicitement que « l’an dernier, le Congrès de cette grande puissance a donné 16,7 millions de dollars de soutien financier au dalaï-lama et à son entourage ». La dernière tournée de négociations de janvier 2010 n’a pas rapproché les deux camps d’un pouce.

Placer la Chine sous un éclairage défavorable

L’attitude des États-Unis envers le dalaï-lama et la question du Tibet est restée assez constante depuis 1949. Avant cette date, les États-Unis reconnaissaient l’intégrité territoriale de la Chine. Tibet y compris. Officiellement, c’est toujours le cas aujourd’hui, mais cela n’empêche nullement les États-Unis d’utiliser régulièrement la question du Tibet pour épingler la Chine. En avril 1949, le ministère américain des Affaires étrangères en expliquait ainsi le pourquoi : « La reconnaissance du Tibet en tant que pays indépendant n’est pas pour nous la véritable question. Ce dont il retourne, c’est de notre attitude vis-à-vis de la Chine. S’il y avait un gouvernement tibétain en exil, la politique tout indiquée des États-Unis serait de le soutenir sans reconnaître le Tibet en tant que pays indépendant. » C’est aussi ce qui s’est passé dans la réalité : le dalaï-lama a finalement pris le chemin de l’exil, on en a fait un martyre de toutes pièces, on a ainsi trouvé une sorte de bâton pour frapper la Chine aux moments où cela sert bien les intérêts américains.

Dans les années 1950 et 1960, les États-Unis ont formé, entraîné, organisé et financé la résistance armée des séparatistes tibétains. Avec l’aide du dalaï-lama et de son administration. À partir des années 1970, les États-Unis développent et financent un réseau de groupes d’appui en faveur de l’indépendance du Tibet. Motif : continuer insuffler une nouvelle vie à la propagande contre la Chine et placer la Chine sous un éclairage défavorable. Les gens qui donnent le ton, ici, c’est la Campagne international pour le Tibet avec, comme président exécutif Lodi Gyari, un religieux, représentant du dalaï-lama aux États-Unis.

Les dernières décennies, le dalaï-lama a été plusieurs fois l’invité des présidents américains. Obama entend bien remettre ça lui aussi. La Chine proteste contre la chose parce que Beijing considère le dalaï-lama comme un séparatiste. Beijing veut bien discuter avec l’homme, mais les autorités chinoises considèrent un accueil par un État étranger comme une ingérence dans leurs affaires intérieures.

Le texte ci-dessus a été rédigé par Jean-Paul Desimpelaere, rédacteur de www.infochina.be, le 12 février 2010. L’auteur a un blog qui se focalise sur le Tibet. Vous le trouverez ici :http://infortibet.skynetblogs.be/. L’auteur collabore également à www.tibetdoc.eu.

Sources
On peut trouver le texte intégral du Mémorandum du dalaï-lama sur le site Internet de son administration :
www.tibet.net/en
Quant à la réponse chinoise, vous la trouverez ici :
http://eng.tibet.cn/news/today/200910/t20091018_511138.htm