Saturday, January 29, 2011


Clément Duval




En 1887, au bagne en Guyane ; le directeur visite les cellules où sont enfermés les bagnards récalcitrants; arrivé devant une cellule, un des matons qui l'accompagne lui dit :
"- Ici, c'est Duval, anarchiste et fier de l'être."
"- Si Duval se conduit bien, il aura la bienveillance de l'administration, en cas contraire, les Duval comme les autres, je les ferais plier !" répondit l'arrogant directeur. A cette provocation, Duval répliqua :
"- Les hommes conscients, tels que je pense être, sont comme le verre, ils cassent mais ne plient pas !"


Qui était ce Duval ?


Clément Duval est né en Mars 1850 dans la Sarthe, dans une famille pauvre ; il commença à travailler très jeune (à 10 ans) comme serrurier ; en 1870, il est envoyé comme tant d'autres à la boucherie de la guerre contre l'Allemagne, dernière et fatale folie de " Badinguet" (Napoléon III le sinistre tyran) ; il en reviendra avec des blessures et les pieds déformés ; il a déjà des problèmes avec l'autorité.


En 1882 se fonde dans le 17ème arrondissement de Paris un groupe anarchiste, " La Panthère des Batignoles " ; Duval en fait partie, il vit à Paris depuis plusieurs années et travaille comme serrurier ; Duval avec Ritzerfeld, Tortelier (le spécialiste des "déménagements à la cloche de bois ") et une dizaine d'autres anars animent ce groupe.


" La Panthère des Batignoles " est un des nombreux groupes anarchistes qui se créent en France à ce moment ; ils discutent entre eux, étudient le moyen de fabriquer des bombes, etc.


Le 5 octobre 1886, un incendie se déclare dans une grosse maison bourgeoise de la rue Montceau à Paris ; le feu a été allumé par le (ou les) cambrioleurs, après avoir fait main basse sur l'argenterie et les bijoux ; c'est bien sûr Duval l'auteur du casse ; il est arrêté quelques jours plus tard, suite à des perquisitions chez des receleurs.
Au moment de l'arrestation, Duval se rebelle et se voyant coincé, frappe de deux coups de couteaux un des flics.


Duval expliquera son geste au procès " qu'il défendait sa liberté " ; au procès, on lui reproche également, outre le vol, d'avoir mis le feu à la maison, Duval dira qu'il ne voulait pas mettre le feu à la maison car les parasites (les propriétaires) n'y étaient pas et donc qu'il était inutile de faire griller la maison, mais son complice Turquais (qui ne fut jamais arrêté), fou de rage de ne pas avoir trouvé ce qu'il cherchait, se vengera par le feu ; Duval refusera de prêter serment devant le tribunal ; tout le long du procès (que Duval appelle " la comédie "), Duval se réclamera de l'anarchisme ; le juge lui reprochera le vol, en disant que c'était pour son profit personnel que Duval avait cambriolé, Duval lui rétorquera que l'argent était destiné à l'anarchisme afin de financer des brochures, fabriquer des bombes etc. et que son acte n'était pas un vol, mais juste une restitution et que voler des parasites qui exploitent et volent le prolétariat, donc le fait de piller ces requins n'est pas un vol mais justice ! Comme il avait bien raison ! Lorsqu'à à la fin de son procès, on lui demanda ce qu'il avait à déclarer pour sa défense, Duval s'enflamma et fit un discours violent contre la bourgeoisie, les parasites, la société, mais on ne lui laissa pas le temps de parler, il fut évacué de force par six argousins, Duval continuait à hurler " vive la révolution sociale, vive l'anarchie, je vous ferais tous sauter ! ".


Son texte complet de sa défense fut publié dans plusieurs journaux anars, un texte violemment anti-systéme ; Duval ne regretta qu'une chose : être tombé trop tôt avant d'avoir pu se venger de la société.


Le verdict tomba : condamnation à mort Duval fut encamisolé de force et mis au quartier des condamnés à mort ; malgré la rage qui l'animait, il se voyait un pied dans la tombe...Un mois plus tard, sa peine fut commuée en condamnation aux travaux forcés à perpétuité aux bagnes de Guyane.


L'acte de clément Duval, une première chez les anars, de reprise individuelle, engendra des polémiques et le mouvement anarchiste français fut divisé ; certains désapprouvaient (comme Jean Grave) ou d'autres admettaient le geste sans l'approuver (comme Séverine), d'autres soutenaient carrément Duval (comme Elysée Reclus).


Au bagne :


Clément Duval arrive aux îles du Salut (Guyane) le 24 avril 1887, il y restera 14 ans. C'est un des premiers anarchiste à atterrir dans ce cloaque ; dés le début, Duval se heurta avec certains gardiens de la pire espèce, ce qui lui vaudra de nombreux séjours à l'isolement dans de sordide cachots, et souvent pour des broutilles, mais Duval, avec son caractère intraitable, ne se laissa jamais faire ! Il dut endurer, tout comme ses compagnons d'infortune, toutes les vexations, infamies des gardiens, des conditions pénibles de vie (avec la chaleur, les serpents, la vermine, les épidémies, le manque de nourriture et le travail harassant), un univers effroyable où beaucoup tombent comme des mouches.


Un jour, Duval est prit à partie par un imbécile de gardien qui lui reproche d'être anarchiste, Duval lui répond que " tous ceux qui possèdent, c'est au détriment de ceux qui ne possèdent rien, par conséquent des voleurs : "principalement les fonctionnaires, les gens en place, qui consomment beaucoup et ne produisent rien".


Pendant toutes ces années de passées au bagne, Clément Duval connaîtra pratiquement tous les anarchistes qui atterriront dans ce merdier (de l'anarchiste italien Pini qui était son meilleur ami, en passant par Victor Cails, un anarchiste breton, Liars-Courtois, Meunier, Lepiez et Paridaen deux typographes anarchistes, Simon (ou "Ravachol II ") un complice à Ravachol, Chévenet, GirierLorion, et beaucoup d'autres.


De part son métier de serrurier, Duval fut solliciter par l'administration pénitentiaire pour occuper un poste à l'atelier des outils du bagne, Duval accepta mais refusa catégoriquement tout travaux qui seraient en rapport aux engins de supplices des bagnards (barres de " justice ", manilles, chaînes, affûter le couteau de la guillotine etc.) Duval eut plusieurs fois à subir des séjours au cachot d'isolement à cause de son refus obstiné à accomplir ce genre de basse besognes.


Il tenta maintes et maintes fois de s'évader, toutes ces tentatives échouèrent (sauf la dernière !) à cause de mouchardages, de complices trop bavards (une " maladie " au bagne) ou simplement par malchance...


En dépit de tous ces échecs, Duval ne baissait pas les bras, ne cédait pas au découragement et ne manquait jamais l'occasion, face aux tracas ou sarcasmes de la chiourme (les gardiens) de leur crier haut et fort son appartenance à l'anarchie ! Duval dans ses mémoires, décrira de manière poignante son quotidien et celui des autres bagnards ; il dressera de nombreux portraits de bagnards ; il parlera aussi d'un des plus célèbres, "Papillon" mais Duval, n'en dira pas que du bien car c'était un égoïste, toujours du côté des plus forts, chose que Duval, en tant qu'anarchiste ne pouvait que rejeter, car Duval fera toujours preuve de solidarité envers ses compagnons (qu'ils soient anarchistes ou pas) ; avec ses amis anarchiste, il se réunissait avec eux autour d'un repas préparé dans un unique grand récipient, le fameux " plat anarchiste " comme écrira Duval.


L'entraide sera toujours de mise avec lui et sera toujours efficace pour lutter contre les injustices, les brimades de la chiourme (que Duval appelait de " bourriques "), des trahisons parmi les bagnards et les coups du sort. 


L'évasion du bagne


Clément Duval, au bout de la 18ème (!) tentative d'évasion réussit à se faire la belle avec d'autres bagnards ; il se réfugia, après plusieurs péripéties, à New York, aux Etats-Unis, accueilli par les anarchistes italiens. Le matricule 21551 (le numéro de Clément Duval au bagne) avait enfin réussit à s'échapper (le mois d'avril 1901)


A New York, chez les anarchistes italiens, une colonie nombreuse et solidaire, Duval fut accueilli en frère ; à plus de 50 ans, les pieds déformés, sous alimentés et usé par des années de souffrances, et n'y voyant plus guère, le " père Duval " finira sa vie chez les italiens de Brooklyn.


Duval rédigera ses souvenirs, avec l'aide de Luigi Galleani (son traducteur) ; un premier livre fut publié par "l'adunata dei refrattari" (une association d'anarchistes italiens new-yorkais), quelquesextraits furent publiés par " L'Endehors " en France.


Clément Duval meurt à 85 ans le 29 mars 1935 à Brooklyn, sans être revenu en France (à son grand regret). Juste quelques années auparavant, pendant l'épopée de la bande à Bonnot, Duval écrira aux journaux anarchistes de France pour défendre les anarchistes braqueurs de la bande à Bonnot.


Jusqu'au bout Duval, d'après ceux qui le rencontrèrent sur ses vieux jours, fut ardent et enflammé pour l'anarchisme ; Clément Duval, en dépit des années de souffrances au bagne, après l'exil, conservait la rage et l'envie de se battre pour l'anarchie.


Le mot de la fin est pour Clément lui-même : "Amis anarchistes, si vous agissez, faites vous plutôt tuer sur place, couper la tête. Mais n'allez jamais au bagne ! " 


SIDOX


A LIRE : "Moi, Clément Duval, bagnard et anarchiste" M.Enckell, Editions-Ouvrières. "Les coulisses de l'anarchie", Floro'squar,r Editions-Les Nuits Rouges.


Moi, Clément Duval, bagnard et anarchiste


Un siècle durant, des dizaines de milliers de condamnés ont été envoyés à la " guillotine sèche ". Rares sont ceux qui ont survécu au bagne, plus rares encore ceux qui ont pu raconter leur vie dans cet enfer. En 1887, l'anarchiste Clément Duval (1850-1935) proclame en cour d'assises le droit de se révolter mais aussi celui d'utiliser la fortune des riches pour servir sa cause. Condamné aux travaux forcés à perpétuité, envoyé en Guyane, il ne cesse, pendant les quatorze années passées aux Iles du Salut, d'affirmer les valeurs de l'anarchisme. Parvenu à s'évader lors de dix-huitième tentative, il est accueilli à New York par des anarchistes italiens. Duval décrit dans ses mémoires, au-delà de la vie du bagne au jour le jour, la résitance à la faim, à la maladie, aux humiliations, et au système répressif.